Première info : j’ai donc un téléviseur à la maison. Certes, c’est le cas de près de 94% des foyers français selon une étude publiée fin 2018 par le CSA. Mais cela représente moins de 10% du personnel de France Culture d’après une enquête interne réalisée au doigt mouillé : je ne connais pas d’individus plus imperméables au petit écran que mes voisins de bureau.
J’ai longtemps cru que leur aversion tenait davantage au contenu qu’au contenant : à quoi bon s’embarrasser d’un tel équipement si c’est pour se coltiner la 56e saison des Chiffres et des Lettres, une émission quotidienne de karaoké et la 30e rediffusion du Corniaud ? Mais à présent que je suis confronté à la fin de vie de mon appareil (au bout de quelques minutes, l’écran devient noir), je réalise à quel point cet objet a quelque chose d’incongru et d’encombrant.
C’est fou à quel point, quand vous en avez une, la télévision décide de l’aménagement de votre territoire intérieur. Tout le reste en dépend. Un téléviseur dans un salon, c’est comme un couple d’amis avec un jeune enfant : il occupe tout l’espace. Et le plus souvent, il est moche.
J’ai pourtant connu une époque où le fait d’avoir un nouveau poste à la maison était un motif de fierté suffisant pour lancer une invitation aux voisins. ‘’Venez donc prendre l’apéro samedi, on vous montrera la nouvelle télé !’’ Aujourd’hui, je m’interdis de recevoir mes collègues à la maison pour ne pas qu’ils se rendent compte que j’ai une télévision.
C’est dire si j’ai été plus qu’intéressé cette semaine en recevant, dans ma boite mail, une publicité pour une célèbre marque de téléviseurs et pour son tout dernier rejeton. Extra-plat : 24, 9 mm d’épaisseur. Hyper-discret. ‘’Il se distingue’’ me dit le communiqué ‘’par son design unique, rappelant celui d’un tableau, et par sa capacité à se transformer en œuvre d’art lorsqu’il est en veille’’.
Oui car lorsque ce modèle de téléviseur est en veille, au lieu de ne rien afficher d’autre que du néant, vous pouvez choisir d’exhiber sur l’écran un tableau choisi parmi plusieurs centaines, provenant de musées comme celui du Prado à Madrid ou le musée Van Gogh à Amsterdam. Allumée, la télé vous renvoie l’image de Cyril Hanouna ou Laurent Romejko. Eteinte, celles du ‘’Jardin des délices’’ ou du ‘’Champ de blé aux corbeaux’’
Je dois dire que cet argumentaire marketing me plait énormément. Voilà un fabricant de téléviseur qui vous explique que l’objet qu’il fabrique prend toute sa valeur esthétique lorsqu’il est éteint. C’est-à-dire lorsqu’il ne sert à rien, puisqu’a priori, l’utilité d’une télé se mesure à sa capacité de diffuser des images animées, à base de rediffusions de films de Louis de Funès et d’avatars de Michel Drucker. Quelle inversion de fonctionnalités ! C’est comme si vous achetiez une voiture pour la laisser en permanence au garage.
Dans son dernier roman, Téléréalité (Gallimard), notre camarade Aurélien Bellanger fait l’hypothèse que l’apparition de Loft Story il y a 20 ans a transformé la télévision en véritable lieu de création artistique. Et bien j’en tente une autre : grâce à l’innovation des fabricants et à l’obsession pour la décoration intérieure, le monde de l’art est en train de faire disparaitre la télévision. Physiquement parlant. Sacrée revanche !
Author: Marcelo
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