Mais que se passe-il ? Histoire des manifestations.
Posted on Monday 03 May 2021, 14:25 - updated on 06/05/21 - Mobilisations - Permalink
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Mais que se passe-il ?
vidéo de Nantes Révoltée
Que s'est-il passé ?
Histoire des manifestations.
extrait Radio 68
la question du jour à écouter sur France culture

A Nantes : suite aux échauffourées du premier Mai à Nantes et à Paris ....
Texte des occupant(es) du théâtre Graslin
JOUR 53 d 'Occupation
Un premier mai déterminé !
Le traditionnel défilé du 1er mai à Nantes, fête de tou.te.s les travailleuses et travailleurs, a été collectif, rassemblant toutes les composantes de la lutte, syndicales, interprofessionnelles, politiques, citoyennes… 5 000 personnes ! Le secteur culturel a répondu présent en tenues noires et croix blanches : un millier de professionnel.le.s ont manifesté pour rappeler les revendications premières et « essentielles » de l’occupation Graslin : pas de réouverture des lieux culturels sans droits sociaux, sans plan de relance pour l’emploi culturel et sans la deuxième année blanche de l’assurance chômage. Et bien-sûr la revendication mère : abrogation de la réforme de l’assurance chômage ! Un cortège bigarré, joyeux, déterminé qui a fait entendre combien le monde de la culture était en colère. Dans ce contexte, nous allons poursuivre l’occupation de Graslin et nous durcirons le ton de nos actions, afin que nos revendications soient entendues.
Cependant cette belle unité du 1er mai a été entachée par l'agression d'un jeune occupant en fin de manifestation. Le mouvement d’occupation regrette et condamne fermement ces agissements. Ce qui doit nous relier tou.te.s, c'est de s'opposer à la violence des patrons qui précarisent, pressurisent, les salarié.e.s, c'est de s'opposer à la violence de l’État qui démantèle les services publics et les conquis de la sécurité sociale.
Texte de Nantes Révoltée
les origines du premier Mai
Depuis ce week-end, c’est une véritable déferlante médiatique pour parler du 1er Mai. S’agit-il de parler de la réussite numérique de la mobilisation, plus de 100 000 personnes, malgré l’état d’urgence ? De la crise sociale sans précédent qui frappe la population ? De manifestations créatives aux mots d’ordres internationalistes et constellées d’hommages à la Commune ? De la répression désormais habituelle de cette date traditionnelle ? Rien de tout cela.
Les médias, qui ne parlent jamais du 1er Mai, se précipitent pour raconter que les manifs auraient été « volées » par les désormais fameux « blacks blocks ». Selon une certaine presse, des « casseurs » auraient même « attaqué » le 1er Mai. Malheureusement, cette opération est reprise et amplifiée par certaines directions syndicales. La CGT 44 écrit par exemple que le 1er Mai a été « volé aux travailleurs ».
Éléments de réflexion :
Les personnes masquées et habillées de noir sont également des travailleurs et travailleuses, des chômeurs et des chômeuses, des précaires, mais aussi des étudiant.e.s, et parfois même des gens moins défavorisés et des syndicalistes. Exactement comme dans les cortèges syndicaux. Les travailleurs et travailleuses ne constituent pas un corps homogène qui pense et agit de la même façon. Il y a des diversités de pratiques, de mode d’action, de pensées, parmi elles et eux. Des niveaux de colère différents aussi. Le 1er mai appartient à celles et ceux qui luttent pour la justice sociale, du cortège de tête, aux lycéens et lycéennes, des étudiantes et étudiants, aux syndiqué.e.s et non syndiqué.e.s. Pas à une organisation.
À Nantes, que s’est-il passé ? Un cortège internationaliste se trouvait à l’avant du défilé, laissant la banderole intersyndicale passer devant. Pendant le parcours, des tags fleurissent, les palissades de la préfecture sont secouées, des vitrines étoilées et des tensions ont lieu avec le dispositif répressif. Qui tire une quantité impressionnante de gaz lacrymogène. En arrivant sur la place Graslin, fin du parcours officiel, le cortège de tête entame un second tour par la rue Crébillon. Il quitte donc la Place, pour permettre à toutes et tous de terminer la journée selon l’ambiance souhaitée : discussions et verres au soleil sur place ou poursuite de la manif ailleurs. Mais les gendarmes mobiles chargent rapidement, bloquent le cortège et provoquent l’affrontement. Ils envoient une salve continue de grenades lacrymogènes très puissantes sur toute la place, bien au delà de la rue concernée. Tout le monde se réfugie tant bien que mal dans les rues adjacentes, suffoquant, vomissant, tombant. Sur la place, un homme prend le micro et, plutôt que de dénoncer les gazeurs, fustige les « casseurs qui ont foutu la merde ». C’est l’engueulade. Des membres du cortège de tête comme des syndicalistes s’interposent pour arrêter ce conflit absurde. Chacun reprend ses esprits, mais une altercation a eu lieu. Un syndicaliste a craché sur une femme identifiée comme « autonome » avant de la frapper au visage. C’est à notre connaissance la seule personne blessée à ce moment. Vous avez dit « non violent » ?
La préfecture avait parfaitement rodé son piège. Au lieu de laisser partir le cortège de tête, elle l’a bloqué avant de gazer toute la place Graslin, provoquant un sentiment de rancœur. Il est clair que la préfecture avait écrit ce scénario. C’est bien la police nantaise, sur ordre, qui est responsable du gazage place Graslin. Comme du gazage de la fête de la musique en 2019 ou de la fête foraine, et même de la maternité… Dans ces conditions, il est dommage d’emboîter le pas de la communication gouvernementale, alors qu’il y avait des milliers de personnes dans la rue pour célébrer les 150 ans de la Commune, une dimension internationale importante, un cortège Queer en tête…
Les médias préfèrent se concentrer sur ce qui divise. Ils choisissent également de ne pas parler de la répression. Or, gazer comme l’a fait la police place Graslin est une véritable mise en danger d’autrui, surtout vu la puissance suffocante des gaz ce jour-là. De la même façon, les médias n’ont pas parlé des terribles charges policières à Paris et Lyon, des blessé.e.s, des interpelé.e.s, mais seulement des bagarres lamentables qui ont éclaté, souvent causées par l’attitude violente d’un Service d’Ordre brutal. Comme s’il était normal que le 1er Mai, en France, soit réprimé. Joli tour de passe passe.
En bref, la communication gouvernementale est bien rodée et les médias font monter la tension délibérément. Qu’il y ait des débats entre les composantes du mouvement social est une réalité. Que le SO de la CGT ait déjà été violent envers les autonomes est également tout à fait vrai, et ce depuis les années 1960. Que le cortège de tête et la diversité de ses membres fassent des erreurs est incontestable. Mais la volonté affirmée par certaines directions syndicales de s’approprier le 1er mai, couplée aux tensions déjà existantes sur la question des modes d’action, a ouvert un boulevard au pouvoir pour imposer son récit et ne parler que de bagarres internes aux défilés. À présent, tout le monde politique y va de son petit soutien à la CGT : Schiappa, Borne, Dupont-Moretti… Manipulation grossière de ceux-là mêmes qui sabrent les droits sociaux et répriment les syndicalistes depuis des années !
Le récit de cette journée a été imposé par le pouvoir. Renchérir, souvent sans avoir les éléments suffisants, c’est tomber dans la narration de l’ennemi. Face au fascisme qui montre chaque jour d’avantage ses crocs, au régime policier et managérial, aux catastrophe .
Un article de fond de l'excellent site Lundi Matin
"CGT collabos"
Ce que la surexposition médiatique et politique de cette bagarre permet d’occulter, c’est le déroulé réel de ce 1er mai. »
Premier Mai 2021, on s’ennuie en France. Les infos s’inquiètent de ces « festnozs », « rave party » et « free party » qui se sont tenus ces derniers soirs. Les journalistes sont indignés, les citoyens jouent aux fayots, les préfets tiennent des conseils de crise et les tribunaux sont saisis pour enquêtes pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Mais le commentariat est aux aguets : la manifestation du 1er mai à Paris devrait offrir l’occasion de faire chauffer les claviers. Banco : les camions de la CGT se sont fait agresser. Qui, pourquoi ? Les différentes chapelles construisent l’ennemi qui les arrange.
Depuis quelques années les manifestations du 1er mai sont inévitablement l’occasion d’un flot de commentaires d’après-match : MacDo, Black Bloc, Pitié Salpétrière. Sur les plateaux des chaînes d’info continue, comme sur Twitter, on devait trépigner vers 17h, quand cette édition 2021 ne semblait pas vouloir offrir d’occasion franche de déblatérer sans fin. Heureusement, l’événement est venu : cette fois l’affrontement entre le service d’ordre de la CGT, casqué, armé de gazeuses au poivre et de matraques télescopiques, et ce qui semblait être une foule. La bagarre tournant au désavantage du SO, celui-ci s’est rapidement posé en victime « d’actes de vandalisations », mais aussi (et on ne l’attendait pas forcément sur ces questions vu le passif des bonhommes) d’« insultes homophobes, sexistes, racistes » commises par des « individus dont certains se revendiquant gilets jaunes ».
La machine à indignation pouvait s’enclencher. L’« important groupe d’individus » décrit par le communiqué de l’organisation syndicale est petit à petit devenu un « commando » (Jean-Luc Mélenchon), de « personnes masquées » (Clémentine Autain, portant un masque), de faux gilets jaunes (Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT), « pas venues pour revendiquer » (Philippe Martinez), des « ennemis de classe » (les profs de l’UCL), peut-être bien d’extrême droite (Benjamin Amar, aussi de la CGT), en tout cas des « éléments ultras » (Olivier Faure). On ne s’étonnera pas que les trotskistes voient quant à eux derrière cette « agression odieuse », la main des « blacks blocs » (Nathalie Arthaud, ou pas), et des « autonomes » (Révolution Permanente, cherchant encore et toujours « le bon côté de la barricade »).
Personne ne sait donc qui a bien pu "organiser" le "guet-apens" dénoncé par Martinez, mais toute la gauche a quelque chose à en dire. L’empressement à se poser en victime et à fantasmer un ennemi intérieur et insaisissable (à la fois fasciste et autonome, GJ et organisé), se calque exactement sur la fabrique des polémiques évoquées plus haut (visant habituellement à dédouaner le maintien de l’ordre). Fabrique qui vise notamment à empêcher de demander "pourquoi" et à resituer l’événement dans son contexte immédiat et historique - s’empêcher de réfléchir, en somme.
On pourrait commencer par s’intéresser à ce que racontent celles et ceux qui ont vécu la manifestation un peu plus loin de leurs smartphones et un peu plus près de la tête du cortège. On entendrait parler de morceaux de cortège encerclés, poussés, tapés et empêchés de refluer vers l’arrière par les sympathiques vigiles qui assuraient « la sérénité de leur cortège ». On se dirait que ce n’est pas bien nouveau, voire récurrent. On se souviendrait que d’aucuns ont fait un métier de l’art de négocier la mise au pas de la rue. Que ces petits arrangements ont régulièrement donné lieu à des échanges de baffes. Et on se demanderait : pourquoi tant de larmes cette fois-ci ?
On pourrait continuer en s’intéressant à ce qu’il s’est passé ailleurs qu’à Nation. On apprendrait qu’à Lyon, ce week-end :
Les banderoles étaient à peine sortie que déjà la CGT isolait la tête de cortège pour permettre aux CRS de la charger par l’arrière pendant que les gendarmes faisaient un bond offensif à l’avant. La tension est montée vite et fort sans raison apparente, sauf pour ceux qui penseraient bêtement que sortir des lunettes de protection n’est pas justifié dans une époque où les mutilations policières sont monnaie courante. Après la charge policière la CGT a pris le relais, tentant de conjurer la reformation du cortège de tête. Constatant que les manifestants étaient réfractaires à leurs ordres( « passez derrière ! » ou « avancez »), leurs gros-bras ont tenté de les faire obéir. Échec. La tension n’a pas diminué pour autant, les flics continuant à faire d’improbables incursions dans la manifestation, badaboum la République. Quant au SO et aux militants fanatiques-pastis-saucisses, pensant sans ambage qu’une bonne manifestation pacifique justifie bien le déploiement de la violence, ils ont continué à s’en prendre aux récalcitrants : coups, tentatives de filmer et de prendre en photo les manifestants, insultes confusionnistes (« fascistes », « racistes ! ») en parallèle des appels à l’unité des « jeunes » et des « travailleurs ». Et en désespoir de cause ont augmenté le son de la sono pour couvrir les slogans anti-police (à croire qu’ils ont vécu les mouvements BLM et Sécurité Globale en se bouchant les oreilles).
Là encore, un ensemble des petites voix nasillardes s’est empressé d’apporter son soutien au service d’ordre - évoquant, dans un duplicata de l’événement parisien - des insultes racistes/homophobes/sexistes, voire même (comme un vulgaire twittos syndicaliste policier) des « jets d’acides ». Ainsi tout le monde est bien à sa place. Pourtant déjà réduits à peau de chagrin les syndicats et la gauche française ne peuvent s’empêcher de participer au grand jeu de leur propre écrasement. C’est le problème d’être depuis des décennies des paternalistes qui mettent le travail au centre de leur monde, cela ne peut que produire un éternel désir d’ordre.
Nouveau schéma
Le gouvernement, ayant visiblement légué à sa pseudo-opposition ses propres méthodes de communication, n’aura pas eu besoin cette année d’inventer une attaque d’hôpital, préférant donc de timides dénonciations. Le garde des sceaux évoque le rôle, dans cette affaire, de la pandémie et des réseaux sociaux. Du côté de l’Intérieur, Marlène Schiappa peut se contenter d’observer « que les manifestations rassemblent de moins en moins de monde, mais qu’elles sont de plus en plus violentes » - ce qui n’est pas plus bête que les commentaires sus-cités, c’est dire la qualité de ces derniers.
Ce que Schiappa décrit ici, c’est l’effet principal de la radicalisation du maintien de l’ordre. Qui passe depuis plusieurs années par une stratégie de la dissuasion et de l’épuisement. La dissuasion c’est l’imposition de trajets de manifestations toujours plus inaudibles (dans les grandes villes de province, on condamne les manifestants à errer loin des centres), et toujours plus oppressants (c’est la tactique de l’encapsulation) voire suffocants (comme ce fut le cas ce week-end à Nantes). L’épuisement passe par un harcèlement des cortèges : il y a deux ans, à Paris, les premières charges avaient précédé le coup d’envoi.
Corollaire : cet assèchement tend à augmenter la frustration de celles et ceux qui acceptent encore de manifester. Une partie du cortège se demande comment il est encore possible de rester calmes dans de telles conditions, tandis que l’autre juge toujours plus puérils les énervements des premiers. Cette division, la préfecture souhaite depuis longtemps la matérialiser dans l’espace public, en créant un double cortège : bons et mauvais manifestants, derrière et devant. Dans ce contexte, la collaboration syndicats/police qu’elle soit formelle ou tacite indique une convergence d’intérêt. Déjà lors des 1er mai de 2016 et 2018 la CGT avait préparé un itinéraire bis, en cas d’encerclement policier du cortège de tête. Sans grand succès : une partie de ses militants ont refusé la manœuvre. L’idée ne semble pas totalement abandonnée, puisqu’ici encore ce sont les tentatives de scission qui ont fait monter la tension entre les manifestants.
Torgnoles
Pour revenir sur les torgnoles échangées tant à Paris qu’à Lyon : nous ne nous inquiétons pas trop des conséquences pour les victimes d’un jour, gros bras de toujours, du SO de la CGT. Ils ont montré par le passé qu’ils étaient rompus à l’exercice - ce que d’aucuns veulent aujourd’hui oublier, (une journaliste politique affirmait dimanche matin qu’on était avec cet affrontement face à "une première historique !"). En janvier 2020, lors de l’acte 61 des GJs marseillais « survient un affrontement violent entre le Service d’Ordre de la CGT équipé de matraques télescopiques et de manches de pioches et certains manifestants vêtus de noir. » En mai 2016, toujours à Marseille, « la CGT balance des grands coups de gazeuse familiale à bout portant dans le visage de celles et ceux qui étaient en première ligne, n’hésitant pas à faire tomber des gens et à leur mettre des grands coups de pied alors qu’ils sont à terre ». Le communiqué de la CGT dira « que "les autonomes" ont attaqué la CGT ». La même année, à Paris, des affrontements ont lieu entre les prémices d’un cortège de tête alors constitué majoritairement de lycéens et les gros bras du syndicat. Ceux-ci avaient culminé les 12 et 17 mai. Pour cette seconde date, le SO avait ressorti les casques (qu’ils portent encore aujourd’hui) mais aussi des battes de baseball et même... une masse. Selon un article de presse de l’époque, des « jeunes » leurs criaient alors « SO collabo » [1]
[1] On se limitera ici, pour la contextualisation, à ces...
. (Ces jeunes étaient-ils des fascistes ? Ce week-end, certains croyaient déceler dans l’usage du terme « collabo » tagué sur l’un des camions de la CGT à Paris, la preuve d’une intervention d’extrême-droite. Sans rire.)
Concernant celles et ceux qui n’avaient, dans la bagarre, ni brassards, ni casques, ni gazeuses, ni cartes d’adhérents, ils sont désormais sous la menace d’une enquête policière, qui pourra se nourrir des images des documentaristes de manifestations (qui courent à la moindre effusion) et des investigations des Sherlocks du dimanche.
Enfin, conséquence plus désastreuse sûrement : la radicalisation du maintien de l’ordre, qui mise sur la séparation du bon (l’ordre) et du mauvais (le reste, donc réductible), sait désormais pouvoir s’appuyer sur des relais volontaires.
oubliettes
On ne peut que voir dans les pleurnicheries surjouées des tenants de la tranquillité manifestante une tentative pitoyable d’imposer une vision hégémonique de ce que doit être un cortège. Ils s’imaginent avoir un droit de régence et pouvoir définir le rythme et le mode d’expression d’une foule qui les dépasse et ne leur appartient pas. On sait que le cortège de tête, du fait de sa volonté d’ouvrir de nouvelles possibilités - entendons autres que piétiner en rang d’oignons sous les drapeaux - possibilités arrachées donc aux services d’ordre de l’époque, s’est aussi accommodé de faux amis. Ces derniers ont su adopter les codes du moment, pour ne pas tomber aux oubliettes, et pensent deux ans plus tard pouvoir décider que la fête est finie. Ce sont les mêmes qui appellent à la convergence des luttes à tout bout de champs mais sont toujours les premiers à se dissocier dès qu’ils ne contrôlent pas la situation. À ce titre ils ne cachent plus leur désir d’ordre et de retour à la normale. Certains se sont sans surprise déjà proposé pour prêter main-forte (une prochaine fois) au SO, dans une touchante camaraderie virile.
Il ne faut rien voir de plus dans cette polémique que le sursaut d’un corps, la manifestation de gôche, qui agonise depuis trop longtemps. Afin de ne pas finir en saucisses grillées, il apparait nécessaire de refuser les petits mensonges et manipulations mesquines de nos faux amis, mais aussi de s’interroger sur l’éternel retour des mêmes vieilles formes.
Ce que la surexposition médiatique et politique de cette bagarre permet d’occulter, c’est le déroulé réel de ce 1er mai, l’état des forces en présence et leurs stratégies (ou absence de stratégie). Ce que nous avons vu c’est un cortège syndicale affaibli stopper la manifestation pendant quasiment deux heures afin de se distinguer d’un cortège « de tête » massif. Une fois la manifestation divisée, le dispositif policier mis en place par la préfecture pouvait se concentrer sur la tête de cortège (qu’il faudra bien un jour se résoudre à appeler « corps » quitte à ce que les ballons syndicaux en deviennent la « queue »). De là, les centaines de CRS, Gendarmes mobiles et BRAV pouvaient harceler et terroriser des manifestants qui ne parvinrent pas à recomposer un cortège capable de leur faire face. Résultat des courses : la Préfecture a matraqué et limité la casse, la CGT a défendu son petit pré carré et le cortège « de tête » pourtant supérieur numériquement, est à peine parvenu à manifester.
[1] On se limitera ici, pour la contextualisation, à ces dernières années et à quelques exemples circonstanciés. L’histoire du SO de la CGT qui fait la police et le coup de poing contre les manifestants qui ne suivent pas la ligne du parti est largement documentée, depuis Mai 68 au moins.
PARIS 5/07/2018
JOURNAL L'HUMANITÉ DU 3 MAI 2021
le débat continue
extrati article sur Médiapart
L’attaque contre la CGT révèle les tensions au sein du mouvement social
Des affrontements à l’arrivée de la manifestation du 1er-Mai ont conduit plusieurs militants de la CGT à l’hôpital. Le syndicat dénonce une action organisée par l’extrême droite, mais d’autres manifestants s’interrogent : et si l’attaque venait bien de leur camp ?
Des insultes, des coups, des blessés expédiés à l’hôpital. Et depuis, l’indignation. Mais aussi un débat qui ne s’arrête pas, et peut-être un début d’angoisse qui pointe. « On ne parle que de ça depuis des jours », glisse l’un des responsables du service d’ordre (« SO ») qui encadrait la manifestation parisienne du 1er-Mai, à l’issue de laquelle des camionnettes et des militants de la CGT ont été violemment pris à partie par des manifestants, place de la Nation.
Immédiatement, le syndicat avait annoncé décompter 21 blessés, dont quatre ayant dû être pris en charge par des services de soins (tous étaient sortis de l’hôpital le lendemain). La CGT a dénoncé « un déchaînement de coups et de jets de projectiles » de la part d’« un important groupe d’individus, dont certains se revendiquant “gilets jaunes” », et assuré que des « insultes homophobes, sexistes, racistes ont précédé des actes de vandalisme des véhicules des organisations ».
À l'arrivée du cortège syndical du 1er-Mai, place de la Nation, des affrontements ont éclaté entre des manifestants et le service d'ordre de la CGT. © Andrea Oliveira / Hans Lucas via AFP
Tous les syndicats ont dénoncé l’attaque dans la foulée, le patron de la CFDT Laurent Berger y voyant même « la démonstration d’une violence qui mine notre démocratie ». Le 2 mai, une enquête pour « violences volontaires » et « dégradations en réunion » a été ouverte par le parquet de Paris, et la CGT a reçu le soutien de plusieurs ministres, généralement peu prompts à l’encenser : Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, Élisabeth Borne, ministre du travail, et le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.
Mais au-delà des condamnations, personne ne s’est risqué à désigner précisément les auteurs de ces actes de violence. Pour la CGT, il n’y a aucun doute : ils viennent de l’extrême droite. « Ceux qui sont les instigateurs de ces violences ont été bien identifiés, tant par leurs visages, que par les propos qu’ils ont tenus. Les slogans racistes, homophobes et xénophobes ne sont pas des slogans qu’on entend dans nos manifestations », a affirmé mercredi 5 mai le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez lors d’une conférence de presse.
À ses côtés, Valérie Lesage, la dirigeante de l’Union régionale d’Île-de-France, présente au moment des affrontements, interroge : « Malgré des divergences politiques, quel individu ou groupe de notre camp social s’en prendrait à des militantes et militants syndicaux à coups de coups-de-poing américains, barres de fer, pavés, burins, canettes remplies de colle et bris de verre, liquide comportant de l’acide ? » La veille, la responsable syndicale affirmait déjà à Mediapart que « c’est bien dans le milieu fasciste que se sont organisés ceux qui nous ont attaqués de manière délibérée et très organisée ».
Pourtant, cette forte prise de position de la CGT rencontre un accueil quelque peu gêné dans les autres syndicats, et plus largement dans le mouvement social. « On se pose beaucoup de questions. C’est trop facile de dire que ce sont les fachos », souffle une des têtes connues des manifestations parisiennes, qui ne souhaite pas s’opposer publiquement à l’organisation de Philippe Martinez.
« Bien sûr qu’il peut y avoir des infiltrations venues de la droite, mais le socle n’est pas facho. Je vois plutôt une rencontre de circonstance entre personnes qui se disent que le mouvement social n’arrive plus à porter leur colère, estime ce militant aguerri. Dans les gens issus du milieu gilets jaunes, il y a aussi une forte radicalisation, et pas forcément dans notre camp politique : il y a parfois des accents très virilistes, mais aussi complotistes et trumpistes. »
La fin d'un accord tacite, qui tenait depuis 2016 ?
« Pour nous, ce serait bien si c’était l’extrême droite, mais nous n’en sommes pas sûrs du tout », déclare de son côté le patron du « SO » (service d’ordre) d’un autre syndicat. Il identifie ainsi les participants aux attaques : « Ce sont des confus, avec des gens issus des gilets jaunes, et qui peuvent flirter avec l’extrême droite, oui. Mais l’extrême droite violente organisée sur Paris, on les reconnaît, ce n’était pas eux. Ce ne sont pas des “gudards” déguisés. » Il fait là référence au GUD (Groupe union défense), groupuscule de droite radicale entré en sommeil en 2017 au profit du Bastion social, dont la dissolution a été prononcée en 2019.
Simon Duteil, le co-délégué général de Solidaires, s’interroge. Il reconnaît que « des individus isolés virant à l’extrême droite, ou au moins des confusionnistes », peuvent rejoindre les cortèges. Mais il estime également possible l’éclosion « de nouveaux groupes “autonomes” qui s’en prennent aux syndicats et à leur service d’ordre, au prétexte fallacieux qu’ils se comporteraient comme la police ». Des collectifs avec qui n’aurait aucun contact son syndicat, connu pour être à l’interface des syndicats traditionnels et des autres composantes du mouvement social, y compris plus radicales.
Cette dernière hypothèse donne des sueurs froides aux syndicats. Car depuis le printemps 2016 et la contestation de la loi travail, et après un dernier coup de chaud entre le SO et certains membres du black bloc, un équilibre fragile semblait avoir été trouvé dans les manifestations, au moins parisiennes. Aux syndicats le défilé traditionnel et le discours anti-gouvernemental, et aux membres d’un « cortège de tête » toujours plus fourni, défilant devant le carré officiel, les actions plus radicales, ou simplement moins institutionnelles, susceptibles d’attirer un public fatigué du ronron des défilés classiques.
« Depuis la loi travail, il y avait un accord tacite, y compris avec des militants qui faisaient des allers-retours entre les deux pôles, témoigne Simon Duteil. On peut penser qu’il y a une volonté de rompre cet accord. »
...........................extratis
« Le SO n’a livré personne, et n’a bloqué personne »
Fait exceptionnel, ces accusations ont poussé la coordination chargée du service d’ordre du syndicat Solidaires à prendre la parole, dans un long texte qui circule à grande vitesse dans les milieux militants. Le service d’ordre de la manifestation était en effet « unitaire » : il était composé pour moitié de membres de la CGT, appuyés par des adhérents de Solidaires, de FO et de la FSU.
« Il n’y a aucune collaboration entre le SO unitaire et les forces de l’ordre », assurent fermement les responsables de Solidaires. Contrant les accusations, Solidaires décrit, à l’unisson avec la CGT, comment à Saint-Ambroise le carré officiel, juste derrière le cortège de tête, a été pris pour cible par les forces de l’ordre : « Un feu a été allumé à hauteur du cortège de tête et une vitrine de banque a été attaquée pendant une dizaine de minutes. Les forces de l’ordre en ont profité pour attaquer le service d’ordre unitaire (gaz lacrymogènes et charge de la BRAV), en chargeant le carré de tête syndical. Le SO unitaire a résisté, cela a permis à la manifestation de continuer. »
Simon Duteil est catégorique : « Le SO n’a livré personne, et n’a bloqué personne. » Il décrit « un SO qui essaye d’avancer, conformément à son mandat, puis qui y est peut-être allé trop fort sur les lacrymos, mais qui a fait face à des attaques très violentes ».
« Ne pas être d’accord politiquement avec la CGT n’a rien à voir avec aller frapper ses membres dans la rue ! », s’emporte le co-responsable de Solidaires. « Dans son histoire militante, tout le monde a eu un jour maille à partir avec des gros bras du SO de la CGT, mais aujourd’hui, ce SO a pas mal évolué », rappelle-t-il.
En effet, la CGT communique beaucoup pour rappeler que le temps est loin où ses cortèges étaient encadrés par des gros bras du syndicat du Livre et des cheminots. « Ceux qui participent à la sécurisation des manifestants, ce sont des salariés, des jeunes, des moins jeunes, de diverses professions, détaille Philippe Martinez. Ce sont des militants, des militantes, mais d’abord des salariés du public et du privé, parfois des retraités. Participer à l’encadrement des manifs, ce n’est pas un métier, c’est un acte militant. »
Pendant la manifestation du 1er-Mai, les forces de l'ordre ont opéré un contrôle très strict du défilé. © D.I.
Le secrétaire général de la CGT insiste sur le rôle qui est fixé au SO : « On n’est pas des auxiliaires de police. Nous, notre responsabilité, c’est que le défilé, qui est bien délimité, se passe dans les meilleures conditions. On s’occupe de ceux qui sont dans le cortège des organisations syndicales. Tout ce qui se passe à l’extérieur de ce cortège, c’est de la responsabilité des forces de l’ordre et du préfet. »
Le texte signé par Solidaires dit les choses un peu différemment, mais le fond est identique : « Il n’est pas question d’imposer à quiconque sa stratégie mais le respect des stratégies différentes doit être mutuel. La stratégie de Solidaires est de permettre au plus grand nombre de manifester dans les meilleures conditions possibles afin de construire un rapport de force favorable pour gagner sur nos revendications. »
« Ils n’appliquent pas la convergence des luttes qu’ils disent toujours rechercher »
Un argument qui ne convainc pas forcément les habitués des manifestations, mais en dehors des syndicats. Par exemple Priscillia Ludosky, initiatrice de la pétition sur le prix du carburant qui a fait naître le mouvement des gilets jaunes, et devenue une figure des mobilisations, identifiée comme appartenant à la gauche.
Le 2 mai, la militante s’est fendue d’un tweet remarqué où elle commentait l’équipement du SO : « Le service d'ordre de la CGT est devenue une annexe de la BAC : matraque, gaz… » Son message a causé un certain émoi, des responsables de la CGT l’ont appelée pour discuter. Mais sa position n’a pas beaucoup évolué : « Je me pose toujours la question de l’équipement, déclare-t-elle à Mediapart. À quel titre ont-ils le droit d’avoir ce type de matériel, alors que lors du mouvement des gilets jaunes, même les “street medics” se faisaient parfois embarquer leur équipement ? »
Priscillia Ludosky n’est pas plus convaincue par « la façon dont les gens des syndicats gèrent les manifestations » : « Je comprends bien qu’ils n’avancent pas lorsque des membres du black bloc viennent tout casser, mais le 1er mai, c’était différent. Ils nous ont laissé nous faire gazer dans tous les sens… Ils ne se mélangent pas aux autres, ils n’appliquent pas la convergence des luttes qu’ils disent toujours rechercher. »
L’incompréhension est valable dans les deux sens. Chez les syndicats, les craintes ne sont pas nées ce 1er-Mai. « Depuis le mouvement sur les retraites, nous avons de plus en plus de difficultés à manifester avec des individus hostiles aux syndicats qui tentent par exemple de s’en prendre à nos camions syndicaux », écrivent les responsables du SO de Solidaires.
Les attaques ont démarré il y a plusieurs mois
Les diverses composantes du mouvement social font le compte des incidents. En décembre 2019, au début du mouvement contre la réforme des retraites, un camion de la fédération Sud Santé Sociaux a été attaqué, ses vitres brisées. « Certains individus qui apparaissent parmi les assaillants du 1er mai font partie de ceux qui ont attaqué le camion », assure Solidaires aujourd’hui.
Une nette montée des tensions a surtout été remarquée à partir du début des contestations de la loi pour une sécurité globale, fin 2020. Lors de la grande manifestation du 28 novembre, le camion des organisateurs avait déjà été la cible d’un caillassage en règle, en plein cortège et alors qu’aucune échauffourée n’était en cours.
C’est surtout la manifestation suivante, le 5 décembre, qui a marqué les esprits : le carré officiel a été attaqué à deux reprises par des membres du cortège de tête. C’est ce que décrit avec précision ce texte rédigé par des « communistes libertaires syndiqué·e·s à la CGT et à Solidaires », qui parlent carrément de « coups de poignard dans le dos ».
Ces attaques, et les débats qu’elles ont déclenchés au sein de la coordination contre la loi sécurité globale, expliquent que la coordination n’ait pas appelé officiellement à manifester le 12 décembre, estimant qu’elle n’était pas en mesure de garantir la sécurité des participants – le 12, ce sont finalement les policiers et gendarmes qui ont empêché que le défilé ait réellement lieu. Le 16 janvier, enfin, Philippe Martinez a été copieusement insulté.
D’autres observateurs font remonter les tensions au « contre-G7 » qui s’est tenu fin août 2019 au Pays basque. Les incompréhensions régnant dans le camp où s’étaient installés les manifestants ont donné lieu à des quasi-affrontements entre associations installées et « autonomes », désireux de s’en prendre aux forces de l’ordre. Ces dernières avaient menacé à plusieurs reprises d’investir le camp.
Attac, l’une des associations-pivots de l’événement, a écrit en septembre 20019 un long texte, pesé au trébuchet, pour regretter en creux les désaccords : « Nous ne pensons pas que notre camp politique se réduise à celles et ceux qui pratiquent uniquement le même type d’actions que nous. À ce titre, nous n’avons jamais condamné aucune autre action, fût-elle qualifiée de violente par les médias et/ou l’État. […] Dans la même logique, nous avons souhaité que nos propres cadres de mobilisation soient respectés, avec le consensus d’action qui les accompagne. »
Les militants CGT eux-mêmes divisés
Difficile de savoir ce que pense de ces évolutions le milieu dit des « autonomes », qui n’ont par définition pas de représentants. Un jeune collectif parisien qui s’était réjoui des actions contre la CGT le 1er-Mai s’est livré le lendemain à une sévère autocritique. Et les médias considérés comme proches de ce courant de pensée ont évité de se mouiller.
Le site Lundimatin, sans doute le plus connu d’entre eux, n’a ainsi ni approuvé ni condamné l’attaque contre la CGT. « Ce que la surexposition médiatique et politique de cette bagarre permet d’occulter, c’est le déroulé réel de ce 1er-Mai, l’état des forces en présence et leurs stratégies (ou absence de stratégie). Ce que nous avons vu, c’est un cortège syndical affaibli stopper la manifestation pendant quasiment deux heures afin de se distinguer d’un cortège “de tête” massif », écrivent seulement ses animateurs, fidèles à leur ligne – et tant pis si cette fois, le cortège de tête était bien moins « massif » qu’il ne l’a été par le passé.
Aujourd’hui, le débat a aussi lieu en interne dans les syndicats. Et à la CGT en particulier. Exemple parmi d’autres, dans un groupe de militants habitués à échanger leurs impressions, l’un critique les attaques contre le SO : « Difficile de dire si le but de cette minorité agressive est d’empêcher les citoyens de manifester mais c’est en tout cas le résultat. […] Nul ne souhaite empêcher les plus marginalisés de manifester leur colère dans la rue mais qu’ils s’en prennent aux forces du désordre au lieu de frapper des syndicalistes. »
Un autre, en revanche, refuse de condamner : « Je me revendique cégétiste, mais aussi Gilet jaune et militant révolutionnaire, et je ne pense pas être raciste ou homophobe, encore moins fasciste ou flic... Cependant les cortèges festifs de la CGT à Paris me lassent. La confédération et les unions départementales confondent, selon moi, les carnavals brésiliens et les mouvements contestataires qui devraient être à la hauteur de la répression et de la dictature qu'on se prend dans la gueule ! »
Sans doute bien consciente du caractère délicat de la situation, la CGT n’a pas oublié de mettre largement en cause la stratégie de la préfecture de police de Paris et de son chef, Didier Lallement, qu’ils estiment responsables de leur agression : les policiers présents en nombre à Nation n’ont guère bougé pendant l’attaque des camionnettes, et ont refusé d’ouvrir les barrières qui leur bloquaient le passage.
« Nous étudions les possibilités de dépôt de plainte, y compris vis-à-vis du préfet de police », a déclaré Philippe Martinez lors de sa conférence de presse. Valérie Lesage a pour sa part demandé que le préfet de police soit « révoqué », car « il a failli à de nombreuses reprises à la protection des manifestants et à l'exercice du droit de manifester ». La CGT va en outre « demander l'ouverture d'une enquête parlementaire, afin de faire la clarté sur la gestion du maintien de l'ordre lors de la manifestation de ce 1er-Mai, ainsi que lors des manifestations depuis 2016 », a-t-elle annoncé.